L'apocalypse maintenant
L'attachement de Maud Andrieux pour le Viêt-nam et son histoire se décline en quelques dates.
2003: elle visite le pays et se rend à Diên Biên Phu, ou elle est saisie par l'atmosphère de l'endroit où "rien n'a bougé , où les tranchées sont toujours là et les canons aussi, rouillés, où on a l'impression que la fin de la guerre date d'une semaine".
2005: elle monte et interprète "Un barrage contre le Pacifique" de Marguerite Duras, qui raconte les efforts d'une famille de colons pour survivre en Indochine et s'en va jouer la pièce à Saïgon devant Yann Andréa, dernier compagnon de la dramaturge.
Septembre 2006: elle monte "Indochine" d'après le roman "L'Avion musique" de Stéphane Boudy. "C'est un ami, précise la comédienne, lorsquej'ai su qu'il travaillait sur le sujet, j'ai pensé que c'était quelque chose pour moi".
Dans le ciel et sur la terre
Après un travail d'adaptation remarquable de concision sur un récit pourtant déjà économe, la comédienne a elle même créé une mise en scène minimale sur le Petit Théâtre des Chartrons, qu'elle va occuper pendant un mois. Ici, tout est petit, sauf l'ambition du sujet traité. Maud Andrieux a parié sur sa voix et sur le texte. Pour le reste, le décor est quasi-vide (une chaise), les phrases sont courtes, télégraphiques, percutantes, d'une efficacité toute militaire.
"Pas besoin d'en rajouter, dit la comédienne. Le récit se suffit à lui-même, on est en plein dans l'action, dès le départ". Quelques diapos suffiront, une projection émouvante. Un culot monstre, un parti pris inversement proportionnel dans son dépouillement à la dimension panoramique qui raconte "un pays sculpté par la haine, la rancune et la vanité" et la petite histoire atroce de ceux qui ont assumé la grande jusqu'au bout ("Vider les chargeurs pour donner le change, en attendant de se faire tuer à son tour").
Les femmes du régiment
Au milieu de son monologue, Maud Andrieux adopte le point de vue d'Amina, prostituée algéro-vietnamienne, incarnation de toutes les erreurs et de toutes les distorsions tragiques de l'histoire coloniale, sainte et martyre qui cherche à survivre et à aider son prochain. Par delà les collines et derrière les bambous, elle suit un sous-officier héroïnomane qui vient de lui sauver la vie et un lieutenent sans haine qui va connaître le dilemne de la sienne."Je tenais à parler des femmes de cette guerre. Il y avait des bordels de campagne, même sur des sites infernaux comme Diên Biên Phu où les prostituées furent transformées en infirmière à la fin. Il y avait aussi des convoyeuses de l'air qui soignaient les blessés dans les avions". Au moins tant qu'il y avait la possibilité d'atterir. Ce qui n'est plus du tout le cas au moment où "Indochine" commence. L'enfer décrit en quelques mots.
"L'Avion musique"
Ce troisième ouvrage du Bordelais Stéphane Boudy en surprendra plus d'un. Par son ambition d'abord, car ce n'est pas tous les jours qu'un jeune écrivain trempe sa plume dans la boue de la Guerre d'Indochine sans dégâts idéologiques collatéraux. Par sa propension à l'action ensuite, car le roman ne se lâche pas une seconde, de la première à la dernière page, et il se passe assez d'évènements pour un film de deux heures! Par son écriture enfin, d'une économie surprenante pour embrasser autant d'évènements, de sensations, de descriptions en 125 pages. Qu'il décrive le paysan viêt-minh dans sa progression vers la victoire inéluctable ou bien qu'il fasse parler l'officier français gêné de donner des ordres absurdes auxquels personne ne semble donner crédit, Stéphane Boudy sonne juste et fort. Une vraie réussite.
Joël Raffier